L'elastique temps: le jeudi de la sieste

A peine jeudi ? C’est moi ou la semaine s’allonge exprès pour m’éloigner chaque seconde du week-end ?

Ya des semaines comme ça, interminables, qui s’allongent, comme un élastique.

C’est fou ce temps, si bien découpé et qui pourtant a une drôle de capacité à s’allonger ou se rétrécir, peser plus ou moins.

Sur ma carte d’identité j’ai 28 ans. Pourtant aujourd’hui je m’en sens 35 et hier 20 ! Sur le calendrier ; on est jeudi, pourtant j’ai l’impression que ça fait bien plus que 4 jours que cette semaine a commencée…

Etrange.

Voilà une petite réflexion que je m’étais faite à Bali, en constatant qu’ils n’ont pas du tout la même notion du temps que nous. Le temps est bien plus élastique et instable qu’on le pense.

Et avant de vous en faire part, pour que vous la compreniez sans trop vous arracher les cheveux, il faut (malheureusement pour vous) que je tente de vous expliquer le calendrier balinais, qui est un truc à mettre en état de mort cérébrale tout individu qui cherche à bien le comprendre.

Nous, occidentaux, avons un rapport au temps comptable. Des unités de temps (plus ou moins) fixes : le siècle, l’année, le mois, la journée, l’heure, la seconde, tictac tictac. Tout s’organise, se compte, se combine. C’est un découpage basé sur une logique reproductible, afin de faciliter l’organisation et la communication. Nous fêtons la venue récurrente des mêmes dates, appelées anniversaire, sorte d’éloge du temps qui passe et dont nous avons pleinement conscience car nous le mesurons.

Hors les balinais, ont eux, plusieurs calendriers. Un calendrier lunaire-solaire divisé en 12 mois de 2 cycles de lunes (croissante et décroissante) par mois, ressemblant beaucoup au notre mais sans compter le même nombre de jours et dont le but est principalement agraire (quand faire les récolte etc) et sur lequel je ne m’appesantirais pas, et un autre qui, certes, découpent le temps en unités, mais non pas afin de les totaliser, mais plutôt pour les décrire, les préciser. C’est le calendrier Pawukon, le plus important pour le quotidien des balinais, véritable reflet de leur culture et de leur appréhension du temps. Ce calendrier leur permet de formuler les significations différentes que les jours prennent selon qu'on se place au niveau social, intellectuel, ou religieux.

Il est basé sur la concordance de 10 cycles indépendants. Chacun de ces 10 cycles comporte un nombre de jours différent, appelé différemment. Le cycle de 1 jour est le cycle Ekawara et ce jour est nommé Luang. Le cycle de 2 jours s’appelle Dwiwara est comporte deux jours : Menge et Petet etc…

Voici la liste de cycle avec le nom des jours.

1. Ekawara : Luang.

2. Dwiwara : Menge, Petet.

3. Triwara : Pash, Balang Tegeh, Kajeng.

4. Caturwara : Sri, Laba, Jaya, Mandala.

5. Pancawara : Umanis, Paing, Pon, Wage, Kliwon.

6. Sadwara : Tungleh, Aryang, Urukung, Paniron, Was, Maulu.

7. Saptawara : Redite, Soma, Anggara, Buda, Wraspati, Sukra, Saniscara (La semaine de 7 jours également utilisé pour les semaines régulières).

8. Astawara : Sri, Indra, Guru, Yama, Ludra, Brahma, Kala, Uma.

9. Sangawara : Dangu, Jangur, Gigis, Nohan, Organ, Erangan, Urungan, Tulus, Dadi.

10. Dasawara : Pandita, Pati, Suka, Duka, Sri, Manuh, Manusa, Eraja, Dewa, Rakshasa.

Là où ça se corse c’est que TOUS les cycles tournent simultanément. Le jour d’aujourd’hui a donc 10 noms simultanés. Bonjour l’embrouille !

Heureusement pour nous, seuls les cycles de cinq, six et sept noms sont réellement importants. Ouf !

Un jour désigné par trois noms, (c'est à dire offrant une combinaison unique de noms issus des trois cycles) reviendra donc une fois tous les 210 jours (5 fois 6 fois 7). On dit donc pour simplifier que l’année balinaise comporte 210 jours est qu’elle est découpée en 30 semaines (appelé wuku) de 7 jours. C’est bien pratique car un wuku équivaut ainsi à une semaine du calendrier grégorien. Ces 30 wuku portent chacun un nom différent, qui est celui d'un personnage intervenant dans un récit fondateur, dont le héros principal est un roi mythique, Watugunung. Le trentième et dernier wuku de ce cycle « annuel » de 210 jours porte le nom de ce roi. Pour info en voici la liste.

1. Sinta

2. Landep

3. Ukir

4. Kulantir

5. Tolu

6. Gumbereg

7. Wariga

8. Warigadian

9. Julungwangi

10. Sungsang

11. Dungulan

12. Kuningan

13. Langkir

14. Medangsia

15. Pujut

16. Pahang

17. Krulut

18. Merakih

19. Tambir

20. Medangkungan

21. Matal

22. Uye

23. Menail

24. Perangbakat

25. Bala

26. Ugu

27. Wayang

28. Kelawu

29. Dukut

30. Watugunung

Une partie des noms de jour de ces dix groupements possède un sens lexical identifiable. Ainsi, par exemple, pash, le premier des trois jours du triwara, a pour sens lexical « activité de séparation ». D’autres jours sont associés à une activité en particulier. Par exemple, le dernier jour de la semaine de 3 jours (Triwara) est jour de marché dans les villages.

Certaines combinaisons de noms de jours de deux semaines sont particulièrement remarquables au point de porter un nom spécifique. Ils marquent des festivités ou des célébrations particulières. Il peut aussi y avoir combinaison d'un jour spécifique (né de la combinaison de deux dates remarquables dans des semaines de nombre de jours différents) et d'une semaine ou waru précise. Par exemple, le couple Saniscara-Kliwon (semaine de 7 jours - semaine de 5 jours) se nomme Tumpek. Il y aura 6 Tumpek dans le cycle de 210 jours. De la combinaison de ce jour et du nom d'une semaine naitra un autre nom de jour : par exemple, le jour où Tumpek arrivera en semaine 7 (Wariga) sera baptisé Tumpek Uduh et sera consacré à l'entretien des cocotiers….

Je vous laisse méditer là-dessus !

 

C’est complexe, mais cela rythme toute activité à Bali. On ne va pas commencer un business, entretenir les cocotiers, organiser une cérémonie, se faire couper les cheveux ou acheter une maison sans consulter le calendrier pour trouver le type de jour propice à l’affaire.

Ce système ne vous dit donc pas quel jour on est, mais quelle sorte de jour on est, selon la signification des noms associé au jour. La notion de temps qui passe, qu’on peut comptabiliser n’est donc pas aussi présente que chez nous.

Ca ne leur viendrait pas à l’idée de fêter un anniversaire et la plupart ignore l’âge qu’ils ont, ni le jour auquel ils sont nés. Ils ont l’âge de leurs artères, point. Aujourd’hui cela semble plus et hier moins. Premier ou dernier jour de la semaine ? Peut importe. Ce qui importe c’est de savoir si c’est un jour plein (avec quelque chose à faire) ou creux (avec rien d’important à faire). Et ils alternent ainsi activité frénétique et franche passivité dans une sorte d’intemporalité assez fascinante pour nos petites têtes d’occidentaux pressés et organisés.

Ils laissent couler et prenent le temps comme il vient, parfois plus lent, parfois plus court, parfois plus pesant et parfois moins…

Aujourd’hui, jeudi 22 avril 2010, nous sommes donc le jour Luang, Menge, Kajeng, Menala, Kliwon, Maulu, Wraspati, Brahma, Erangan, Manusa

Je n’ai aucune idée de ce pour quoi ce jour est bon d’après les balinais mais moi, je le trouve long.

Si seulement il pouvait être dédié à la sieste, ça m’arrangerait bien d’ailleurs.